Dans une publication de 2020 dans la Revue des sciences de l’éducation, les autrices Fasal Kanouté, Fahimeh Darchinian, Rajae Guennouni Hassani, Yamina Bouchamma, Sarah Mainich et Gwendoline Norbert révèlent une partie des résultats de leur projet de recherche qui s'intéresse à la persévérance aux études ainsi qu’au processus général d’acculturation d’étudiant.es universitaires en résidence permanente inscrit.es dans six universités au Québec (Université de Montréal, Université du Québec à Montréal, Université Laval, Université Concordia, Polytechnique Montréal et HEC Montréal). Après quelques éléments de contexte et des constats, des propositions d’amélioration sont proposées à la fin du présent article.
À partir entre autres d’un questionnaire en ligne complété par près de 1000 étudiant.es universitaires en résidence permanente, l’article met à jour des défis relatifs à :
- L’insertion professionnelle,
- L’intégration sociale,
- La conciliation famille-études-travail,
- Le décodage de la culture et des pratiques universitaires,
- Ainsi que la perception de pratiques discriminatoires.
En plus du questionnaire en ligne, le projet s'est appuyé sur des entretiens individuels et de groupe, auprès d’étudiant.es en résidence permanente et d’enseignant.es.
Les autrices rappellent que l'immigration au Canada et au Québec est un processus planifié et qui fait l'objet de mesures, de programmes et de ministères responsables. Bien que les critères de sélection fassent en sorte que plusieurs arrivent au Québec avec des diplômes ou sont reconnus comme travailleurs qualifiés, une étude de Advanis Joliceur (2016), citée par les autrices, démontre que ces personnes rencontrent plusieurs difficultés dans la recherche d’un emploi soit :
- Le manque d’expérience au Québec (66,4 %) ;
- La non-reconnaissance de l’expérience à l’étranger (46,9 %) ;
- La non-reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger (35,1 %).
À ce constat, et pour éviter le chômage ou la déqualification professionnelle, plusieurs décident de retourner sur les bancs d'école afin de pallier ce manque de reconnaissance de ce que les autrices appellent leur « capital humain ».
"Le capital humain est fait d’un ensemble, acquis par la personne, de connaissances, savoirs, compétences, qualifications, aptitudes et diverses expériences, notamment lié au niveau de scolarité et aux activités professionnelles (Cappelletti, 2010 ; Kamanzi, Zhang, Deblois et Deniger, 2007 ; Namazi, 2014)."
Or, les données des établissements participants au projet sur la population étudiante détenant la résidence permanente tendent à démontrer que celle-ci a un taux de diplomation plus faible que la population étudiante globale (un écart de 2 à 15% selon les universités).
Pour qualifier l'expérience étudiante de cette population, les autrices utilisent différents concepts (acculturation, intégration et adaptation) et s'appuient sur d'autres études qui relèvent les enjeux suivants :
- La maitrise de la langue d’enseignement ;
- Les attentes implicites liées à l’évaluation des apprentissages ;
- La focalisation des pairs et des enseignants sur leur accent ;
- Les formules pédagogiques comme le travail en équipe quand la constitution des équipes est laissée à l’initiative des étudiants ;
- La méconnaissance de la structure et du fonctionnement des institutions scolaires ;
- Le manque de soutien dans l’effort d’ajustement de leurs conceptions initiales de l’enseignement et de l’apprentissage à la réalité des pratiques éducatives du pays d'accueil ;
- La stigmatisation sociale qui affecte de manière significative la réussite des étudiants reliés à des groupes minoritaires racisés.
Peuvent aussi s'ajouter différentes autres facettes du stress d’acculturation qui peuvent avoir un impact sur la persévérance aux études :
- L’anticipation des embuches à l’obtention d’un emploi à la fin des études ;
- L’exercice de la parentalité et le rapport à l’école des enfants ;
- La conciliation travail-famille-études ;
- La participation citoyenne et politique.
Résultats du projet et propositions d’amélioration des conditions d’études :
Faisant face à des défis d'intégration et d'adaptation à la société québécoise, mais aussi relatifs aux conditions de formation, les répondant.es proposent des pistes d'action pour viser l'amélioration de leurs parcours.
La majeure partie des propositions sur les conditions d’intégration à la société interpelle l’État, les institutions, le groupe majoritaire en général.
- Améliorer le processus de reconnaissance des acquis de formation ;
- Mieux soutenir financièrement les immigrants récents ;
- Faciliter leur intégration socioculturelle ;
- Inviter les immigrants à faire leur part à être proactifs à se mettre en projet ;
- Dénoncer les barrières systémiques ;
- Faire circuler une certaine espérance de réussite dans leur communauté ethnoculturelle en évitant de ne parler que des problèmes rencontrés.
Pour les conditions de formation, voici les suggestions des répondant.es pour les personnes qui partagent leur parcours :
- Bien choisir ce que l’on veut étudier ; ce choix devant bien s’inscrire dans une trajectoire menant à l’emploi projeté ;
- Être proactif ;
- Faire le choix de réduire le nombre de cours par session ;
- Faire des choix de vie cohérents avec la vie universitaire (ex. : se rapprocher géographiquement de l'université) ;
- Ne pas procrastiner ;
- Faire les préalables requis pour faciliter la compréhension dans les matières étudiées ;
- Aimer cultiver la langue française en développant des amitiés avec des Francophones ;
Les répondant.es suggèrent aussi au personnel enseignant d’avoir davantage de bienveillance et de professionnalisme dans leurs interventions, mais aussi de la proactivité pour mieux comprendre les phénomènes migratoires et aussi pour prévenir un certain regard stigmatisant.
Concernant la problématique phare de l'expérience vécue par bon nombre d'étudiant.es issu.es de l'immigration, soit le travail en équipe, les répondant.es suggéraient que "les enseignants ne laissent pas toujours la constitution des équipes à l’initiative des étudiants, ou du moins qu’ils soient sensibles aux enjeux d’interactions sociales que ce mode de travail induit et qu’ils l’abordent avec les étudiants."
En conclusion, les autrices rappellent que les caractéristiques des étudiant.es résident.es permanent.es diffèrent de celles d'étudiant.es en échange pour études ou dans un parcours régulier de baccalauréat (ils et elles sont en général plus âgé.es, ont déjà occupé un emploi dans son domaine, possèdent des qualifications, effectuent un retour aux études après plusieurs années, sont parents ou responsables de personnes à charge, etc.). Aussi elles soulignent que le "ressenti [des répondant.es] est parfois exprimé de manière explicite sous l’angle d’un vécu de racisme."
Quelques autres suggestions de pistes de solutions pour les personnes décisionnelles et les établissements qui les accueillent :
- Une plus grande mobilisation politique pour bonifier les mécanismes de reconnaissance des acquis de formation des immigrants ;
- S’attaquer à la complexité des formes de discrimination dont certains immigrants sont victimes ;
- Offrir des programmes de mise à niveau de qualification destinés aux professionnels formés à l’étranger, en évitant cependant d'alourdir de façon indue les prérequis attendus des étudiants résidents permanents ;
- Améliorer l'accès à l'information (sur l'admission, par exemple) et aux services offerts à cette population étudiante (au jumelage, par exemple) ;
- Ne pas négliger le rôle du personnel enseignant auprès de cette population étudiante adulte (les autrices les nomment "tuteur de résilience") ;
- Rendre disponible à la communauté universitaire une formation à l’approche interculturelle et à la différenciation pédagogique
Pour lire la publication complète : Persévérance aux études et processus général d’acculturation d’étudiants résidents permanents inscrits dans des universités québécoises : les défis d’intégration et d’adaptation
Référence : Diversité ethnoculturelle dans l’enseignement postsecondaire au Canada : expérience d’acteur·rice·s et pratiques institutionnelles (Volume 46, numéro 2, 2020, Revue des sciences de l'éducation)