Le 7 avril dernier avait lieu le Colloque Enjeux et pratiques en santé mentale : Regards croisés sur les étudiantes et étudiants internationaux en milieux collégial et universitaire, organisé en collaboration par les Services aux étudiants du réseau de l'Université du Québec et la Table interculturelle de l'Institut de recherche sur l'intégration professionnelle des immigrants (IRIPI).
Les étudiantes et étudiants internationaux au cégep ou à l’université rencontrent des défis spécifiques qui peuvent avoir une incidence sur leur santé mentale. En contexte de pandémie, ces enjeux ont pu être exacerbés. Après une courte introduction du directeur de l'IRIPI, Habib El-Hage, les quelques 120 participant.es ont été conviés à des présentations de récentes données issues de la recherche, puis de pratiques mises en place dans les établissements. Un échange avec les participant.es a permis aussi de faire ressortir certains questionnements quant aux pistes de solutions à mettre en place. Cet article fait ressortir quelques éléments extraits de ce colloque dont l'enregistrement sera rendu disponible sur le site de l'IRIPI. Des ressources complémentaires, partagées pendant le colloque sont également rassemblées à la fin de cet article.
Les panélistes du colloque :
Perspectives de la recherche : Réalités au collégial et à l’université
- Christiane Bergeron-Leclerc, Ph.D., Docteure en service social, professeure à l’Unité d’enseignement en travail social de l’Université du Québec à Chicoutimi – (enregistrement de la présentation – Christiane Bergeron Leclerc)
- Benjamin Gallais, Ph.D., Docteur en psychologie, chercheur, ÉCOBES (Cégep de Jonquière) et Centre de recherche Charles-Le Moyne. (enregistrement de la présentation – Benjamin Gallais)
- Nebila Jean-Claude Bationo, professionnel de recherche, Université Laval et Université d’Ottawa ; Jean Ramdé, psychoéducateur, professeur titulaire (psychoéducation) à la Faculté des sciences de l’éducation à l’Université Laval ; et Idrissa Beogo, professeur adjoint à l’École des sciences infirmières, Faculté des sciences de la santé à l’Université d’Ottawa
Perspectives du terrain : Réalités au collégial et à l’université
- Anne Boily, directrice exécutive des services cliniques au Centre d’appui et de prévention (Le CAP) (enregistrement de la présentation – Anne Boily)
Santé mentale et étudiants universitaires internationaux : regard sur deux années de pandémie.
Christiane Bergeron-Leclerc présente des résultats d’une étude codirigée avec Danielle Maltais (UQAC), qui a pour objectif général de dresser le portrait des conséquences à court, à moyen et à long terme de la pandémie sur la santé des étudiant⸱e⸱s et des employé⸱e⸱s du Réseau de l’Université du Québec. Pour cette présentation, l'équipe de Christiane Bergeron-Leclerc a isolé les répondant.es n'ayant pas la citoyenneté canadienne pour en faire le portrait, notamment concernant leur état de santé psychologique, ce qui représente un échantillon de 703 personnes.
Elle a présenté les facteurs qui ont été relevés par les répondant.es comme accentuant le risque de dépression, d'anxiété généralisée et le trouble du stress post-traumatique. Parmi ces facteurs, notons la qualité du sommeil diminué, se sentir dépassé face aux tâches scolaires, percevoir la pandémie comme source de défi considérable, une inquiétude face à sa subsistance et un faible niveau de soutien social et une faible qualité de vie spirituelle (la recherche de sens).
Devant ces résultats, Christiane Bergeron-Leclerc propose une liste d'éléments sur lesquels les établissements peuvent agir pour soutenir les étudiantes et étudiants internationaux :
- Perception et outils de gestion du stress quotidien ;
- Perception de la pandémie, du virus et de l’efficacité des moyens de protection ;
- Outils de concentration, de motivation, aide à l’organisation scolaire ;
- Développer la qualité de vie spirituelle par des expériences signifiantes ;
- Offrir du soutien social (ou perception de celui-ci), alimentaire et logement
- Outils de développement des habitudes de vie (sommeil notamment)
Adaptation psychologique des étudiant.es internationaux face à la pandémie de COVID-19
Benjamin Gallais présente des résultats issus de deux projets menés dans des cégeps du Québec, le premier Adaptation psychologique et adaptation aux études des étudiant.es collégiaux face à la crise de la COVID-19, permet de constater que :
- Au cours des différentes phases de l'étude (novembre-décembre 2020, phase 2 et décembre 2021, phase 3) le sentiment de détresse semble avoir diminué et s’être amélioré.
- Concernant le trouble d'anxiété généralisé et la dépression majeure, on note une diminution significative pour l'ensemble des étudiant.es (bien que la prévalence demeure importante) et une certaine stabilité chez les étudiant.es internationaux (ÉI), c’est-à-dire moins élevés que pour le total des répondant.es.
- Les répondant.es ont aussi dû se prononcer sur l'énoncé suivant : "Globalement, la crise sanitaire aura un impact positif sur la perception que j'ai de moi-même (ex. : se sentir plus solide pour faire face aux difficultés ou aux preuves)". Près de la moitié des ÉI sont d'accord ou tout à fait d'accord avec cet énoncé et leurs réponses s'apparent à celles de l'ensemble des répondant.es et ce sentiment s'est bonifié dans la 3e phase. La question leur a également été posée à l'inverse, à savoir si la crise sanitaire aura un impact négatif sur la perception qu'ils et elles ont d'eux-mêmes et on note une nette amélioration entre les deux phases de l'étude.
- L'étude permet aussi de savoir que les ÉI connaissent les services adaptés dans une grande proportion (74% à 76,6%) et ont une bonne connaissance des services psychosociaux (66,5% à 66.9%), par contre leur utilisation de ces services dans les établissements demeure faible, bien qu'équivalente à l'utilisation de l'ensemble des répondant.es. Une hypothèse mise de l'avant est que les étudiant.es locaux sont de plus grands utilisateurs des services à l'extérieur de l'établissement.
- L'étude indique aussi que les ÉI sont moins nombreux à avoir une personne présente en cas de besoin.
- Les ÉI vivent plus souvent seuls et sont plus nombreux à se sentir seuls (1/2 étudiant).
Une autre étude en cours mentionnée par Benjamin Gallais, Évolution de l'adaptation psychosociale des étudiants internationaux et de la relation avec leurs pairs québécois dans les cégeps à faible densité ethnoculturelle - élaboration d'approches pédagogiques interculturelles (2020-2023), cible les difficultés rencontrées dans l'adaptation socioculturelle et sur 29 items proposés, les difficultés les plus importantes sont les suivantes (la première étant la plus importante) :
- S'habituer à l'alimentation québécoise
- S'adapter aux relations familiales à distance
- Aller dans des soirées/fêtes
- Se faire des amis
- Comprendre le système politique québécois
- Comprendre l'humour québécois
Les dernières données présentées par Benjamin Gallais permettent en outre de mesurer que si ce sont généralement dans les relations sociales où l'adaptation a occasionné le plus de défis, la pandémie avec son lot de mesures de distanciation physique et l'enseignement à distance ont contribué à accentuer ces difficultés d'adaptation. Benjamin Gallais conclut sur une donnée recueillie sur le sentiment de discrimination au sein de la société québécoise et 46% des ÉI ont vécu de 1 à 3 situations où leur origine, la couleur de la peau, l'accent ou la religion les ont placés dans un sentiment de malaise ou d'exclusion.
Psy-Web-COVID-19 : programme de e-santé mentale pour la thérapie de la détresse psychologique pré et post pandémie COVID-19 chez les étudiants internationaux francophones en contexte de minorité linguistico culturelle (Manitoba, Alberta et au Québec).
Nebila Jean-Claude Bationo, Jean Ramdé et Idrissa Beogo présentent le projet Psy-Web-COVID-19. Ce projet vise à développer une plateforme au bénéfice des ÉI pour constituer un répertoire de ressources de premier recours et tester le dispositif dans les universités des régions ciblées par le projet. Les ÉI sont identifiés comme vivant avec un plus grand stress psychologique à cause de leur parcours migratoire, leur faible recours aux ressources d'aide en santé et leurs connaissances limitées du système de santé de leur pays d’accueil. Leur précarité financière et le faible capital social nuisent également à l'accès à des soins de santé optimaux, en plus d'être souvent exclus des opportunités de soutien financier fédéral et provincial.
Dans ce contexte, les outils de e-santé sont perçus comme une avenue pertinente, en particulier en période de crise sanitaire, mais aussi après, pour avoir plus facilement accès à des interventions de premières lignes en matière de santé.
Le projet a déjà réalisé la phase de conception du site Web et entre dans une phase de production et de prétest pour un déploiement pour la rentrée 2022. Une application sera également intégrée dans l'outil pour faciliter l’accès et l'utilisation des ressources disponibles dans les établissements. La spécificité culturelle de ce projet se situe dans les ressources proposées : un effort de sensibilisation aux enjeux d'acculturation et de choc culturel sera mis de l'avant en plus des différents outils mis à la disposition des étudiant.es qui effectuent un parcours migratoire dans le cadre de leur projet d’études.
Présentation d'une pratique d'un établissement collégial : La Boussole : un partenariat entre le Centre d'appui et de prévention (CAP) et la Cité collégiale
Anne Boily présente le partenariat avec la Cité collégiale à Ottawa, La Boussole, un service qui offre un soutien dans l'établissement en matière de santé mentale et de mesures d'accommodement académiques. L'offre de services est réalisée selon le modèle de soins par paliers (différents niveaux d'intensité d'intervention selon les besoins) et le modèle CAPA (Choice and Partnership Approach, capsule vidéo explicative, en anglais) qui vise à répondre en offrant le bon service adapté à la personne au bon moment.
Elle précise que 30% des étudiant.es sont issu.es de l'international à la Cité collégiale, principalement issu.es des pays du Maghreb et d'Afrique francophone.
Anne Boily réitère les mêmes constats que les présentations précédentes sur les difficultés rencontrées chez les ÉI (isolement, adaptation) et le fait que la pandémie ait pu exacerber certains phénomènes. Elle propose également de mettre en évidence des particularités de l'expérience des ÉI qui peuvent avoir un impact important sur l'état de la santé mentale, soient :
- Une pression plus importante pour la réussite, associée à une pression sociale, familiale ou même individuelle.
- Les éléments culturels spécifiques qui viennent teinter l'expérience, telle que les valeurs différentes (individualisme versus communautarisme, les rôles traditionnels), le fait d'avoir quitté le nid familial tôt (par rapport à ce qui se fait traditionnellement dans certaines cultures), les barrières linguistiques inattendues, le modèle d'enseignement différent et le racisme systémique vécu.
Anne Boily identifie également quelques bonnes pratiques observées dans le cadre des actions du CAP, soient :
- Avoir une équipe clinique à l'écoute (laisser parler les ÉI)
- Créer des espaces sécuritaires pour discuter des enjeux de diversité, d'équité et d'inclusion ;
- Offrir de la formation continue aux équipes ;
- Discuter des enjeux d'équité, diversité et d'inclusion et de racisme dans le cadre des rencontres de supervision clinique (en groupe ou individuel).
- Aller à la rencontre des étudiants internationaux et tisser des liens avec eux
- Éviter les formules de types sondage, courriel ou présentation formelle, mais passer du temps avec eux (partager un repas)
- Faire les rencontres en personne (autant que possible) ; qu'elles soient informelles, chaleureuses et conviviales.
- Mettre l'accent sur l'humain et la relation, les questions administratives doivent venir après.
Elle poursuit en mentionnant qu'en plus du tabou qui plane sur les enjeux de santé mentale, il importe de faire activement la promotion des services offerts et les bénéfices potentiels à faire une demande d'aide.
- Les ÉI expriment parfois leur demande d'aide de soutien psychologique en mentionnant des éléments se rapportant à leurs besoins de base (insécurité alimentaire, situation d'éviction), leur rendement scolaire insatisfaisant ou un échec, une douleur physique, un sentiment de tristesse et moins en utilisant un vocabulaire clinique (anxiété, dépression, détresse psychologique).
- Les intervenant.es doivent être sensibilisées à décoder des demandes pas toujours très spécifiques ou qui semblent ne pas être en lien avec le mandat du service.
- Si un ÉI fait une demande d'aide, c'est qu'il est probablement déjà en détresse et qu'une prise en charge rapide est alors requise pour bien identifier le besoin à combler.
- Il est essentiel de travailler en équipe avec les autres services (admission, association, personnel enseignant, etc.)
Anne Boily illustre aussi une initiative qui a été mise en place en collaboration avec l'association étudiante de La Cité qui a favorisé l'accès aux services de la Boussole d'étudiants qui n'ont pas l'habitude de consulter les services d'aide. La Boussole reçoit les demandes de soutien au Fonds Zéro Stress qui met en évidence des besoins financiers d'urgence et qui révèle en même temps des dossiers d'étudiants souvent en grande détresse. C'est notamment par ce biais que La boussole arrive à rejoindre des étudiants, souvent chef de famille, qui ne consultent pas autrement les services. Une fois leur situation connue, ces étudiants peuvent être dirigés vers d'autres ressources utiles pour soutenir leur santé mentale.
Échanges entre les participant.es et partage de pratiques
Mégane Girard, agente de recherche au siège social de l'Université du Québec, présente l'initiative en santé mentale étudiante en enseignement supérieur (ISMÉES) qui n'est pas spécifiquement dédiée aux EI, mais à l'ensemble des étudiants. Cette initiative financée par le MES a débuté à l'automne 2021 et les deux grands objectifs sont de mobiliser la communauté de l'enseignement supérieur autour de la santé mentale étudiante et de faciliter l'accès aux ressources et aux outils disponibles. L'un des livrables est un site Web à deux volets : un volet destiné à la population étudiante pour répondre à leurs besoins en santé mentale (soutien immédiat, en savoir plus, symptômes sur lesquels avoir de l'information) et donner accès aux ressources de son établissement et un accès à une ressource 24/7 et un autre volet pour le personnel en soutien à la population étudiante (personnel des SAE, personnel enseignant, associations étudiantes). Cette initiative est développée en collaboration avec les réseaux existants (universitaires, collégiaux, santé, communautaires) et vise surtout à mettre en lumière les ressources existantes et aussi organiser des activités de mobilisation en matière de santé mentale étudiante. Les ressources déjà réunies depuis le démarrage de l'ISMÉES sont déjà rendues disponibles sur les différents réseaux sociaux et par le biais d'une infolettre. Le site sera mis en ligne au plus tard en décembre 2023.
Le colloque s'est conclu sur le fait qu'il est également important pour les intervenant.es de développer une approche interculturelle dans le cadre du soutien offert auprès des populations étudiantes issues de l'international. Quelques ressources ont été partagées à cet effet (elles se trouvent à la fin de cet article). Aussi, on mentionne l'importance de faire appel aux ressources communautaires hors des murs des établissements d'enseignement supérieur.
L’enregistrement des présentations du Colloque se trouvent sur la chaîne YouTube de l’IRIPI et les présentations des panélistes au lieu suivant :
Ressources complémentaires mentionnées pendant le colloque :
- ISMÉES - page Facebook
- ISMÉES - Infolettre
- Association canadienne pour la santé mentale-Montréal
- Institut universitaire SHERPA
- Centre d'expertise sur le bien-être et l'état de santé physique des réfugiés et des demandeurs d'asile (CERDA)
- Entretien de formulation culturelle du DSM-V
- Dossier du CAPRES sur les étudiants internationaux
- Enjeux et défis de l’adaptation, de l’intégration et de la réussite scolaire des étudiants internationaux dans les cégeps et les collèges francophones du Canada
- Cahier de l'IRIPI - Comment aborder les sujets sensibles en classe?
- Interventions auprès des jeunes en contexte de diversité
- Cégépiens, radicalisations et vivre ensemble
- Enquête «tu t'en sors-tu?» sur le bien-être de la communauté étudiante internationale de l'Université de Sherbrooke
Organisation et coordination du colloque :
Julie Prince, Conseillère à la vie étudiante en interculturel, Collège de Maisonneuve
Coordonnatrice de la Table intercollégiale en intervention interculturelle de l’Institut de recherche pour l’intégration professionnelle des immigrants (IRIPI)
Habib El-Hage, directeur
Institut de recherche pour l’intégration professionnelle des immigrants (IRIPI) - Collège de Maisonneuve
Stéphanie Vagneux, agente de recherche
Équipe réseau en soutien aux équipes des services aux étudiants
Coordonnatrice de la Communauté de pratique sur les étudiants étrangers
Université du Québec
Mégane Girard, agente de recherche
Équipe réseau en soutien aux équipes des services aux étudiants
Coordonnatrice des Rendez-vous en santé mentale
Université du Québec